Le samedi 14 novembre, le Sénat a adopté par vote groupé un amendement à l’article 47 quater du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 proposé par la commission des affaires sociales visant à reporter l’âge d’ouverture des droits à la retraite à 63 ans à compter de 2025 pour les générations nées après 1965. J’ai demandé l’annulation de mon vote.
Je demeure, comme je l’ai toujours expliqué, fermement opposé à une réforme visant à reporter l’âge de départ à la retraite. J’ai pu voir, dans mon entourage, des employés de l’entreprise familiale, des proches, morts prématurément sans avoir pu profiter du temps qu’une vie de labeur aurait dû leur garantir. Travailler plus longtemps car on vit plus longtemps, voilà bien un raisonnement mathématique binaire qui, s’il arrange les discours politiques, ne tient pas la comparaison des raisonnements scientifiques et philosophiques.
Imposer un âge de départ à la retraite, c’est s’absoudre de la nécessité de mesures équitables au profit de l’égalité. En tant que médecin, il me semble nécessaire de prendre avant tout en considération des éléments scientifiques : si aujourd’hui, l’espérance de vie à la naissance est de 85,6 ans pour les femmes et de 79,7 ans pour les hommes, et qu’elle a considérablement augmenté depuis 60 ans – de presque 15 années – cette augmentation ralentit.
Il est de notre responsabilité de prendre en considération une autre réalité : celle de la vie en bonne santé. Selon le ministère des solidarités et de la santé, tout juste un an sépare l’espérance de vie sans incapacité des femmes (64,5 ans) et des hommes (63,4 ans). Aujourd’hui donc une personne de 65 ans peut espérer vivre 10,5 ans, en moyenne, en bonne santé. En continuant de vouloir indexer l’âge de départ à la retraite sur l’espérance de vie, dans une logique mathématique, nous prenons le risque d’aggraver les risques d’incapacité des personnes en âge de cesser leur activité.
Au-delà de cet aspect, peut-on philosophiquement considérer – d’autant plus dans une crise sanitaire qui fait appel à la solidarité de toutes les générations et à la protection des plus anciens – que la fin de vie doit-être consacrée à travailler encore plus, dans le seul but de chercher un équilibre financier des retraites, sans prendre en compte les spécificités liées aux conditions de travail ou à l’état de santé des individus ? Ne pas perdre sa vie à la gagner. Telle était l’un des slogans de Mai 1968. Un demi-siècle plus tard, souhaitons-nous une société à l’américaine qui impose aux personnes âgées de travailler jusqu’à leur dernier souffle ? Les sexagénaires doivent-ils devenir une variable d’ajustement des budgets ?
Faire porter tout le financement des retraites sur un allongement de la durée de cotisation et un report de l’âge de départ, c’est mettre en place un système coercitif qui consiste à reprocher aux sexagénaires de vivre trop longtemps. Le système de malus qui souhaite pénaliser ceux qui partent plus tôt illustre cette politique punitive que certains souhaitent renforcer.
De mon côté, j’appelle à inverser l’idéologie politique et abandonner le répressif pour miser sur l’incitatif : récompenser ceux qui, au-delà d’un âge équitable, continueront à travailler mais permettre à ceux qui souhaitent légitimement profiter de leur retraite, de pouvoir le faire. Ce changement de cap demande du courage : il faut chercher de réelles solutions au chômage des plus jeunes à qui l’on demande aujourd’hui de travailler et de cotiser plus longtemps sans leur offrir de réelles perspectives. Il en va de la pérennité de notre système de financement.