Saisie en nouvelle lecture après l’échec de la commission mixte paritaire, la commission des lois du Sénat a, sur le rapport de Lauriane Josende (Les Républicains des Pyrénées-Orientales), décidé de rejeter le projet de loi n° 111 (2023-2024) visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires, en adoptant une motion tendant à opposer la question préalable.
1. DES DÉSACCORDS INSURMONTABLES
Après l’échec de la commission mixte paritaire le 7 mars 2024, l’Assemblée nationale a achevé le 20 mars l’examen en nouvelle lecture de l’ensemble des articles du projet de loi.
Tout en corrigeant quelques scories, l’Assemblée nationale s’est encore plus écartée, sur le plan des dispositions pénales, de la position du Sénat, ce qui exclut toute possibilité de trouver un compromis.
Deux points ont été bloquants pour le Sénat :
– La création d’un nouveau délit de provocation à l’abandon de traitements ou de soins médicaux et à l’adoption de pratiques « non conventionnelles ».
S’il est incontestable que la multiplication des pratiques consistant à promouvoir l’abandon de soins nécessaires à la santé ou l’adoption de certaines pratiques présentées abusivement comme bénéfiques à la santé appelle à une réponse ferme des pouvoirs publics, la commission estime juridiquement et constitutionnellement fragile la disposition proposée par le Gouvernement et l’Assemblée nationale. La commission considère en outre que la nécessité de légiférer sur ce point n’est pas suffisamment établie.
La rédaction finalement adoptée par les députés précise que la provocation devra être caractérisée par des « pressions ou manœuvres réitérées ». Mais cette nouvelle formulation ramène au droit existant. Malgré les efforts consentis par le Gouvernement pour exclure les lanceurs d’alerte du dispositif, la rapporteure a estimé que ces deux rédactions n’atteignent manifestement pas un équilibre satisfaisant dans la conciliation entre l’exercice de la liberté d’expression et la liberté de choisir et de refuser des soins, et l’objectif de protection de la santé publique ainsi poursuivi. Il en va ainsi, a fortiori, lorsque d’autres incriminations, moins attentatoires aux droits et libertés constitutionnellement garantis sont suffisantes pour atteindre cet objectif.
Paradoxalement, les tentatives du Gouvernement et de l’Assemblée nationale pour répondre aux critiques du Conseil d’État et du Sénat aboutissent, aux yeux de la commission, à des dispositifs soit trop larges soit inefficaces. Il apparaît particulièrement difficile de réunir des preuves permettant de caractériser et d’établir une provocation à l’abandon ou à l’abstention de soins dans les conditions définies par l’Assemblée nationale. Il est, dès lors, évident que de simples précautions dans la formulation de leur discours pourront prémunir les promoteurs de dérives sectaires, en général particulièrement bien informés de l’état du droit, contre cette infraction. À l’inverse, une provocation dans un cadre privé ou familial et indépendamment du niveau de connaissance médicale de l’auteur du propos, qu’elle soit suivie d’effets ou non, pourrait être sanctionnée.
L’ESSENTIEL SUR…
Le droit en vigueur est finalement plus protecteur pour les victimes puisque des incriminations plus sévèrement réprimées existent, comme l’abus de faiblesse ou l’exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, dont le Sénat a renforcé la portée avec l’introduction de circonstances aggravantes.
– Le rétablissement des articles 1er et 2 et leur élargissement aux victimes de « thérapies de conversion ».
La commission des lois a estimé que la création d’un délit autonome réprimant le placement ou le maintien dans un état de sujétion psychologique ou physique susceptible d’altérer gravement la santé, indépendamment de tout abus éventuel, était révélateur de deux défauts de conception de ce projet de loi. En effet, il présuppose que d’une part, les équilibres atteints dans la loi « About Picard » visant à réprimer les conséquences des abus seraient obsolètes et insuffisants et d’autre part, que l’ensemble des assujettissements ou des formes d’emprises doivent être traitées de la même manière, au risque de fragiliser les dispositions pénales existantes, notamment en matière de violences conjugales. Le Conseil d’État avait ainsi justement rappelé que le champ des infractions nouvelles proposées par le Gouvernement outrepassait largement celui des dérives sectaires et qu’il convenait en conséquence de modifier l’intitulé même du projet de loi.
La commission avait souscrit sans ambiguïté aux objectifs poursuivis par le projet de loi : toutes les dérives sectaires, qu’elles concernent les mineurs ou les majeurs, qu’elles aient lieu ou non dans l’espace numérique, doivent être combattues. Plusieurs de ses apports ont été conservés dans le texte adopté par l’Assemblée nationale.
- – La consécration du statut juridique de la Miviludes permettant de l’inscrire dans la durée, de conforter sa vocation interministérielle, de reconnaître l’ensemble des missions qu’elle exerce.
- – La répression accrue des délits d’exercice illégal de la médecine, de pratiques commerciales trompeuses et d’abus de faiblesse dès lors qu’ils seraient commis en ligne ou au moyen de supports numériques ou électroniques.
- – La prise en compte la situation spécifique des mineurs victimes de dérives sectaires, en prévoyant que le délai de prescription ne court qu’à partir de leur majorité. Et en renforçant les sanctions applicables au fait de placer un enfant dans une situation d’isolement social.La commission ne peut que constater et regretter la volonté du Gouvernement et de l’Assemblée nationale d’ajouter des dispositions pénales qui ne constitueront pas un apport réel à la lutte contre les dérives sectaires. À l’initiative de la rapporteure, la commission a donc adopté la motion tendant à opposer au texte la question préalable et déposera une motion identique pour la séance publique.
2. LA POSITION DE LA COMMISSION : UN TEXTE COMPLÉTÉ PAR LE SENAT MAIS UNE DISCUSSION QUI NE PEUT PROGRESSER
La commission n’a pas adopté de texte et a décidé de déposer une motion tendant à opposer la question préalable.