Voici une tribune qui m’a été inspirée par le projet d’Emmanuel Macron de lutter contre les « fake news ». Un projet inutile au regard de la loi et dangereux au regard de la démocratie.
Il y a trois ans, l’attentat contre la rédaction de Charlie hebdo… et une vague immense de protestation, la certitude qu’en France, personne ne prendra la liberté d’expression. Trois ans après, qu’en reste-il ? Qui est encore Charlie quand le Président de la République annonce sans soulever la moindre protestation un projet de loi contre les « fake news » : un texte visant à obliger les plateformes à faire davantage preuve de transparence, afin de protéger la vie démocratique de ces fausses nouvelles a assuré Emmanuel Macron lors de ses vœux à une presse qui se montre plus que bienveillante depuis son arrivée à l’Elysée.
Ce dispositif est une grosse ficelle. D’abord parce qu’il est inutile. La loi de 1881 sur la presse propose déjà tout l’arsenal possible pour s’attaquer à la propagation de fausses nouvelles et au délit de diffamation. On peut déjà condamner les apologies de toute sorte au racisme, au révisionnisme, au machisme, aux harcèlements… mais montrer du doigt la rumeur et la transformer en péché mortel, il y a des limites à ne pas franchir au risque de rentrer dans une dictature de la pensée unique. Être un homme public comporte des risques : celui de se faire critiquer, moquer, caricaturer… Cette moquerie à l’égard des puissants est saine : elle est le fondement de l’esprit français (à l’Assemblée nationale, les Députés peuvent s’en convaincre devant les admirables sculptures de Daumier qui n’y allait pas avec le dos de la cuillère lorsqu’il s’agissait de se gausser du pouvoir !), incarné par les plus grands (Victor Hugo se moquant de « Napoléon le Petit » l’a payé d’un exil à Guernesey) et se faufilant jusqu’aux commentateurs de zinc, refaisant le monde au bistrot. Faut-il pour autant condamner cette « politique des comptoirs » ? Comment peut-on juger qu’une nouvelle est « fausse » ou vérifiée si, étranglée d’emblée par une censure étatique, elle ne peut être passée au crible de l’enquête, de la controverse, de la libre circulation dans l’opinion ? Et qui, comment, jugera qu’une nouvelle estampillée « vraie » a le droit de se faufiler jusqu’aux cerveaux des concitoyens ? Délibérer a priori sur la validité d’une information sans laisser ni les journalistes, ni les citoyens s’en emparer me semble encore plus dangereux pour la démocratie. Attaquons-nous aux vrais dangers. Si la France a besoin d’une autorité, elle n’a pas besoin d’autoritarisme, même quand celui-ci est introduit avec séduction. Apprenons dès le plus jeune âge aux générations abreuvées d’informations, à en discerner la source, à en vérifier la validité, à en discuter les fondements… c’est ainsi, par un public éduqué et à qui on laissera la libre expression – y compris celle de critiquer ou de moquer le pouvoir – que l’on s’attaquera le plus efficacement aux « fake news ». Ceux qui défendent la liberté d’expression ont coutume d’exhiber cette phrase apocryphe de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez le dire ». En réalité, il n’a jamais prononcé celle-ci, ne l’a jamais écrite… même si elle exprime admirablement le propos du philosophe amoureux de la liberté. Fake news, donc. Mais comme j’en partage l’esprit, permettez-moi aujourd’hui d’écrire que Je suis Voltaire ! |