Tribune à paraître dans le magazine Jour de Chasse proposée par mon collègue Jean-Noël CARDOUX, Président du bureau d’études Chasse et pêche du Sénat.
Nous, signataires de cette tribune, ne nous insurgeons pas contre l’écologie, contre le progrès, mais – résolument, et avec force – contre une certaine conception de l’écologie et du progrès qui rêve de réduire l’homme, et de lui retirer toute mémoire… Punitive, démagogique, cette tendance de la ‘‘mouvance verte’’ semble se radicaliser, singulièrement sous l’influence grandissante des thèses animalistes, et vouloir effacer tout ce qui, au cœur des territoires, ne correspond pas à ses idéaux. Au premier chef, bien entendu, la chasse – et la diversité des modes de vie qu’elle recouvre.
Parmi nous, d’aucuns sont chasseurs, d’autres non. Certains ont reçu la chasse en héritage, d’autres y sont venus tardivement, quand d’autres, encore, ne seront jamais des disciples déclarés de saint Hubert. Pourtant, en dépit de ces différences, nous, signataires, estimons qu’il est de notre devoir, tout d’abord, de dénoncer l’acharnement éhonté dont la chasse fait actuellement l’objet, et, ensuite, d’attirer l’attention sur un phénomène que nombre de nos concitoyens paraissent sous-estimer : la volonté d’interdire toute pratique cynégétique – progressivement ou immédiatement – n’est que le premier acte d’un mouvement de fond beaucoup plus large, fallacieux et dangereux.
Un sapin de Noël qui disparaît d’une place bien connue. Des abattoirs, des boucheries et des poissonneries vandalisés. La nourriture carnée qui disparaît du menu de certaines cantines – comme, récemment, à l’université de Lucerne, ou dans les 34 restos U de Berlin. Des ‘‘Nouveaux fermiers’’, désormais implantés sur notre sol, qui « réinventent la viande à partir d’ingrédients 100 % végétaux » – alors que de vrais fermiers disparaissent, eux, et meurent. Du poisson sans poisson, là encore à base de végétaux, mis au point par des startups américaines pour se substituer aux pêcheurs professionnels. La pêche de loisir menacée d’interdiction, tout comme le seul fait de monter à cheval. Les passionnés de véhicules automobiles mis au banc des accusés. Le Tour de France stigmatisé parce que « machiste » et « polluant ». Les zoos, les dresseurs pointés du doigt. De vastes territoires acquis pour être ‘‘réensauvagés’’, c’est-à-dire littéralement livrés à eux-mêmes. Des monceaux de propagande ‘‘écologique’’ enrobés de bien-pensance et véhiculés par des peoples en mal de nobles causes. Des rats et des punaises de lit élevés au rang de « commensaux » parce que, voyez-vous, nous devons être « bienveillants » à l’égard des « animaux non humains »…
Tout cela n’est qu’un début. Le début de bouleversements profonds, que le traitement réservé en ce moment même à la chasse – cible facile, ‘‘problème’’ mineur – est en train de révéler.
S’il a jadis attiré l’attention sur de véritables questions, le ‘‘vert’’ n’est plus, en 2021, la couleur de l’espoir – mais celle de l’intimidation systématique, voire de la tentation totalitaire. Aujourd’hui, en effet, une poignée d’inquisiteurs confisque l’espace public à seule fin de transformer la nature en une sorte d’Éden au sein duquel l’humanité devrait faire figure, au mieux, de spectateur bâillonné et menotté. Depuis plusieurs années, sinon plusieurs décennies, un vent de remise en cause radicale souffle sur notre pays – ses mœurs, ses usages, ses traditions. Non seulement il souffle, mais il s’intensifie, presque de jour en jour. Le passé, les acquis millénaires, tout ce qui fut transmis, éprouvé et parfait au fil d’innombrables générations est maintenant frappé de suspicion arbitraire – pire : de détestation automatique. « Il faut déconstruire ! », répètent-ils. Rien ne semble échapper au couperet de leur vision qui se gargarise de raisonnements abstraits qu’ils prétendent imposer comme l’unique vérité à suivre en tout lieu. Car nous en sommes là : au nom d’une Nature personnifiée, au nom d’une planète divinisée au sens propre, au nom d’animaux qu’il conviendra bientôt de ne plus désigner par leur espèce, et que l’on a, du reste, sciemment réduits à leur capacité de souffrir – on nous intime d’oublier une part essentielle de notre patrimoine vivant et de nos identités plurielles. La passion de la déconstruction qui les anime est le plus sûr chemin vers le chaos moral, social, écologique et économique à venir.
S’ils sont encore minoritaires, ces gens extrêmement actifs sont en train de réussir le prodige de répandre leurs thèses dans tous les esprits et milieux – avec autant d’efficacité que les tenants du wokisme, auxquels ils sont intimement liés. L’emprise d’une telle constellation idéologique sur la doxa (et singulièrement chez les jeunes : pensons au phénomène Greta Thunberg) est désormais une évidence, puisqu’on la retrouve à l’université, parmi les scientifiques, dans le monde du showbiz, celui du journalisme, de la culture, du marketing… mais aussi, et c’est très important, dans la sphère politique, laquelle est régulièrement sommée de se prononcer devant ce tribunal particulièrement intransigeant qui accapare tout de l’écologie.
Pas un jour sans injonctions à vivre autrement, parce qu’il en va de l’avenir de la Terre. Pas un jour sans injonctions à être ‘‘éthique’’ ou ‘‘écoresponsable’’, parce que la biodiversité, assènent-ils, est totalement aux abois. Pas un jour sans que l’on ne crie aux oreilles de tous : « Vous êtes coupables ! Honte à vous ! » ou « Indignez-vous ! »
Comment imaginer, dès lors, qu’une partie de l’opinion ne se sente pas obligée de rejoindre au plus vite ces croisés d’un nouveau genre ? Comment imaginer que, dans une telle atmosphère – mélange de pureté morale et de terreur bienveillante –, certains de nos contemporains ne soient pas tentés de se mettre, eux aussi, en quête de déviants à dénoncer, à condamner ? Ce n’est pas aux seules conséquences que nous avons le devoir de nous opposer, mais à l’agrégat d’utopies qui les rend possibles, et qui se nourrit d’un catastrophisme entretenu à dessein par les propagandistes du Bien.
Que notre rapport à l’animal soit perfectible, et que la biodiversité subisse une forme d’érosion qu’il conviendrait d’identifier et d’enrayer – personne ne le conteste. Cependant, leur objectif est tout autre : ils rêvent d’une mise sous cloche de la nature et d’une mise au fer de l’humanité.
Au vrai, nous nous trouvons à un tournant civilisationnel qui, sous couvert d’appliquer partout le fameux principe d’inclusion, ouvre en réalité la porte à une multitude d’exclusions : que vaut telle pratique culturelle ancestrale locale, face au rouleau compresseur d’une éthique sans racine ? Comment le fait de capturer tel gibier par l’acte de chasse ou simplement d’utiliser l’animal serait-il justifiable, dans un univers moral qui s’impose le végétarisme voire le véganisme comme fin ultime ? Comment la moindre intervention de l’homme sur les espaces naturels serait-elle dorénavant légitime, quand on répète à l’envi que ledit homme est essentiellement destructeur, et que la nature, au fond, se débrouille bien mieux toute seule ?
Nous perdons le sens de la mesure – celui qui nous permet encore de faire la différence entre l’élevage industriel et l’élevage traditionnel, entre la chasse et le braconnage, entre l’agriculture intensive et l’agriculture raisonnée, entre l’amour de la nature et son idéalisation, entre ce qui est intolérable et ce qui doit être accepté. Nous cédons aux animalistes toutes les questions relatives aux animaux, aux chantres de l’urgence climatique toutes les questions relatives au climat, comme on cèderait à un élève de six ans les rênes du ministère de l’Éducation nationale.
Voilà pourquoi, nous, signataires de cette tribune, lançons un appel. Un appel à l’adresse de ceux qui ne peuvent plus supporter le diktat qu’infligent à toutes les consciences les purs autoproclamés de l’écologie. Alors que les élections présidentielles approchent, que nous assistons à une surenchère de propositions aberrantes de la part d’idéologues plus désireux de détruire que capables de bâtir, il revient à l’opinion publique de dire non aux animalistes et aux catastrophistes de tout poil, qui se drapent dans un manichéisme moral d’autant plus perfide qu’il prétend relever de l’humanisme. Il revient à l’opinion publique de se dresser énergiquement contre le prosélytisme extrémiste qui voudrait que nous rompions radicalement avec tout notre passé – parce qu’une coterie d’illuminés a soudain découvert l’existence de la souffrance et de la mort, et a tout bonnement décidé de les congédier, avec, parfois, l’appui de puissances financières colossales, et uniquement motivées par la perspective de très juteux retours sur investissement. Il nous revient à tous de freiner le vent de folie qui est en passe d’emporter notre libre-arbitre, et d’opposer une fin de non-recevoir catégorique aux prédicateurs de l’apocalypse, aux passionnés de la table rase qui ont tout intérêt à nous faire croire que la fin est proche – parce qu’ils soupirent après l’avènement d’un homme et d’un monde neufs.
Les chasseurs, répétons-le, sont en première ligne aujourd’hui. Cependant, bientôt – dans un an, dans un mois, demain –, c’est l’ensemble de notre rapport immémorial à l’animal domestique ou sauvage et à la nature qui sera interrogé, attaqué, sommé de montrer patte blanche, et sans doute aboli. Le rejet de la prétendue ‘‘domination’’ sous toutes ses formes et la volonté de briser les chaînes présumées de l’anthropocentrisme frapperont de plein fouet, et avec les meilleures intentions, aussi bien les éleveurs, les agriculteurs, les pêcheurs, les bouchers, les fauconniers, les cavaliers ou les amoureux du cirque, que les sylviculteurs, les taxidermistes, les gastronomes, les aquaculteurs, les apiculteurs ou encore les mushers… La liste n’est évidemment pas exhaustive, mais elle donne une idée de l’ampleur du front qui, organisé, conscient de sa force, serait capable de contrarier les architectes du monde terrifiant qui se préfigure.
Face aux contempteurs du passé, prenons garde de ne pas sacrifier la chasse en se disant que le vent finira par tomber : ce serait la pire des méprises. Nous en appelons donc solennellement à l’unité contre l’extrémisme vert qui, imperméable au débat et prompt à pénétrer les esprits, se donne pour priorité absolue de bannir toutes les pratiques, toutes les professions, toutes les traditions et tous les usages qui ne correspondent pas à son cadre idéologique. Interpellons nos politiques, manifestons ensemble, faisons entendre notre voix, et, surtout, ne nous trompons pas d’adversaire : il y a urgence !