En Novembre dernier, avec ma collègue Laurence-Broon, nous avons déposé une proposition de loi organique visant à rétablir la réserve parlementaire. Une proposition qui a fédéré une majorité de sénateurs qui ont adopté le rétablissement. Plus de 300 parlementaires soutiennent ces enveloppes, supprimées par la majorité en 2017. Première étape vers leur rétablissement ce mardi, avec le vote favorable du Sénat.
La commission des finances s’est réunie le 5 décembre 2023 pour examiner le rapport de M. Vincent Capo-Canellas sur la proposition de loi organique n° 33 (2023-2024) visant à rétablir la réserve parlementaire en faveur des communes rurales et des associations.
I. LA RÉSERVE PARLEMENTAIRE : UN DISPOSITIF UTILE, SUPPRIMÉ POUR DE MAUVAISES RAISONS
A. LA PRATIQUE DE LA RÉSERVE PARLEMENTAIRE PERMETTAIT D’APPORTER UN SOUTIEN UTILE AUX PETITES COMMUNES ET AU TISSU ASSOCIATIF
La « réserve parlementaire », également appelée « dotation d’action parlementaire » au Sénat, décrivait une pratique consistant, pour le Gouvernement, à proposer l’ouverture de crédits en loi de finances afin de soutenir financièrement des projets d’intérêt local qui lui étaient soumis par les députés et les sénateurs. Aucun texte ne venait codifier cette pratique dont l’origine semble remonter aux années 1970, et qui relevait de la seule décision du Gouvernement.
Ces subventions permettaient essentiellement de soutenir le tissu associatif local et les petits projets locaux portés par des communes. Ainsi, en 2015, 65 % des demandes de subvention proposées par les sénateurs étaient d’un montant compris entre 2 000 et 10 000 euros.
Dans la décennie précédant sa suppression à compter de 2018, le montant global des crédits ouverts chaque année en lois de finances au titre de la réserve parlementaire s’établissaient à environ 150 millions d’euros par an. En 2016, les subventions attribuées au titre de la réserve parlementaire des deux assemblées représentaient un montant cumulé de 134 millions d’euros (81 millions d’euros pour l’Assemblée nationale et 53 millions d’euros pour le Sénat), pour 23 888 dossiers, soit une subvention moyenne de 5 624 euros.
B. LA RÉSERVE PARLEMENTAIRE A ÉTÉ SUPPRIMÉE À COMPTER DE 2018, MALGRÉ L’OPPOSITION DU SÉNAT
1. Une suppression sèche décidée en 2017, malgré les efforts du Sénat pour la doter d’un cadre juridique
L’article 14 de la loi organique n° 2017-1338 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a expressément prévu qu’il soit mis fin, à compter de 2018, à la pratique de la réserve parlementaire. Cette décision était principalement motivée par des considérations tenant à la moralisation de la vie politique et aux soupçons de clientélisme qui entouraient la réserve parlementaire. Les subventions versées dans ce cadre, attribuées selon les modalités de droit commun définies par décret en Conseil d’État, étaient pourtant soumises à des exigences de transparence supérieures aux dotations classiques, impliquant notamment la publication annuelle en ligne de l’intégralité des subventions versées (montant, bénéficiaire, parlementaire à l’origine de la proposition).
Lors de l’examen du projet de loi, conscient qu’un dispositif reposant sur la seule pratique ne correspondait plus aux attentes des citoyens en matière de transparence et d’exemplarité de l’action publique, le Sénat avait entendu donner un cadre juridique à la réserve parlementaire plutôt que de la supprimer. Ainsi, sur une initiative conjointe de Philippe Bas, rapporteur, et d’Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances, il a adopté en première lecture un dispositif alternatif de soutien aux projets d’investissement des communes et de leurs groupements sur proposition des parlementaires, dont les règles de fonctionnement seraient inscrites dans la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Le dispositif présentait d’importantes garanties quant à la nature des projets soutenus, au montant des subventions attribuées et aux exigences de transparence assorties.
Le désaccord entre les chambres sur ce point a constitué la raison essentielle de l’échec de la commission mixte paritaire et l’Assemblée nationale a cependant maintenu sa position de suppression « sèche » de la réserve parlementaire.
2. Aucun dispositif actuel ne parvient à remplir le rôle d’intérêt général que jouait la réserve parlementaire pour soutenir les petits projets locaux
La suppression de la réserve parlementaire avait également été justifiée par un motif d’efficience dans l’emploi des crédits budgétaires, suite notamment aux critiques formulées à son encontre par la Cour des comptes, parmi lesquelles le risque de saupoudrage.
Or les plus petits projets portés par les collectivités territoriales et les associations se trouvent bien souvent aujourd’hui « hors des radars » des dispositifs de droit commun. Ils peuvent pourtant avoir un très fort impact pour la vie quotidienne des habitants. Une subvention, même de quelques centaines ou quelques milliers d’euros, peut jouer un rôle décisif pour leur déclenchement. Les parlementaires, forts de leur mandat national doublé d’un ancrage local, occupent une position particulièrement stratégique pour faire remonter ces initiatives d’intérêt général, et soumettre en conséquence au Gouvernement des propositions d’allocation des crédits.
S’agissant des collectivités territoriales, la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) ne saurait constituer une solution de remplacement satisfaisante. La procédure d’octroi des subventions versées prévoit certes d’associer les parlementaires dans la limite de deux députés et deux sénateurs par département. Cela se concrétise par leur participation à une commission d’élus placée auprès du préfet de département, qui reste seul décisionnaire, avec les priorités nationales du Gouvernement comme boussole. En outre, les pouvoirs consultatifs de cette commission se limitent aux dossiers pour lesquels le préfet envisage d’octroyer une subvention supérieure à 100 000 euros, au terme d’une instruction réalisée par ses seuls services. Surtout, le ciblage de la DETR est différent en pratique : en 2022, les subventions de 20 000 euros ou moins ne représentaient en cumulé qu’à peine 10 % de l’enveloppeglobale de 1 milliard d’euros.
Concernant les associations, le deuxième volet, « Fonctionnement et innovation », du Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA 2) n’a pas encore fait ses preuves. Tout comme la DETR, les parlementaires peuvent participer à des collèges départementaux, mais ceux-ci n’ont qu’un rôle consultatif, la décision revenant in fine au préfet de région. En outre, le fonctionnement du FDVA 2 reste difficilement lisible pour les petites associations. Il a été observé une baisse de l’ordre d’un tiers du nombre de demandes de financement entre 2018 et 2020 (de 22 800 à 15 300), qui s’explique par le découragement des associations face à la lourdeur des démarches à accomplir.
II. UNE PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE BIENVENUE POUR RÉTABLIR LA RÉSERVE PARLEMENTAIRE TOUT EN LUI DONNANT UN CADRE JURIDIQUE
La présente proposition de loi organique propose de rétablir la réserve parlementaire, tout en l’encadrant.
Celle-ci s’inscrit dans un contexte marqué par l’émergence d’une prise de conscience collective d’une forme de vide laissé par la réserve parlementaire, alors que d’autres initiatives en ce sens ont été portées à l’Assemblée nationale comme au Sénat depuis 2021. Son exposé des motifs fait référence au lancement, en 2023, du « collectif pour la réserve parlementaire » dont les auteurs du texte sont membres.
Dans le détail, elle tend à modifier la LOLF de façon à prévoir que la loi de finances alloue des crédits aux deux Assemblées pour le financement :
– de projets d’investissement des communes de moins de 3 500 habitants et des communes nouvelles de moins de 10 000 habitants comprenant plus de deux communes déléguées ;
– des dépenses des associations, sous réserve de la souscription d’un contrat d’engagement républicain, condition posée à toute sollicitation de subvention publique depuis la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.
Des exigences de transparence substantielles seraient également posées avec :
– l’obligation pour les bénéficiaires de rendre public l’usage de la subvention versée ;
– la publication annuelle de la liste des subventions versées, tout en précisant pour chaque subvention, le nom du bénéficiaire, le montant versé, la nature du projet financé, le programme concerné et le nom du membre du Parlement, du groupe politique ou de la présidence de l’assemblée qui l’a proposée.
III. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES : ÉLARGIR LE DISPOSITIF À L’ENSEMBLE DU BLOC COMMUNAL, RENFORCER LES RÈGLES ENCADRANT L’ATTRIBUTION DES SUBVENTIONS ET GARANTIR LA SÉCURITÉ JURIDIQUE DE L’INITIATIVE
A. ÉLARGIR LE DISPOSITIF À L’ENSEMBLE DU BLOC COMMUNAL
Le rapporteur souscrit pleinement à l’objectif des auteurs de rétablir la réserve parlementaire. Il considère cependant que le critère d’éligibilité prévu pour les communes témoigne d’un souci de ciblage bienvenu mais s’avère cependant trop restrictif. Outre les effets de seuils qu’il pourrait induire, un tel critère a pour effet pratique de ne pas permettre aux parlementaires élus dans les départements les plus urbains et dans certains départements ultramarins, d’apporter un soutien aux communes de leur territoire. Il en résulterait une certaine distorsion entre le traitement des communes et celui des associations, pour lesquelles l’éligibilité reposerait seulement sur le respect d’une condition déjà intégrée au droit commun des subventions publiques.
Pour cette raison, la commission propose d’étendre le dispositif à l’ensemble des communes, ainsi qu’à leurs groupements et à leurs établissements publics. Cette évolution est sans incidence sur le montant global de l’enveloppe, qui resterait en tout état de cause décidé par le Gouvernement. Les parlementaires seraient libres de lui proposer, en responsabilité, de soutenir un projet présentant un intérêt local et général quelle que soit la taille de la commune qui le porte. L’amendement COM-3 du rapporteur tire les conséquences de cette modification du champ du dispositif dans l’intitulé de la proposition de loi organique.
B. RENFORCER LES RÈGLES ENCADRANT LES SUBVENTIONS
Dans la lignée des précédents travaux de la commission des finances, et dans le souci partagé avec les auteurs d’encadrer le dispositif de façon rigoureuse et transparente, la commission propose de fixer des critères quant aux projets que les parlementaires pourraient proposer de soutenir. Ainsi, ces projets ne pourraient pas présenter de caractère permanent, devraient permettre la mise en oeuvre d’une politique d’intérêt général, et être réalisés dans un délai de sept ans maximum. Un même projet ne pourrait en outre être proposé par plusieurs députés ou sénateurs.
Il serait également précisé que le montant de la subvention ne devrait pas excéder la moitié du montant du coût du projet. Cette exigence de bonne gestion, qui permet de s’assurer de la solidité du projet, était déjà requise dans le cadre de l’ancienne réserve parlementaire. Le montant maximal de la subvention ne pourrait en outre excéder 20 000 euros, condition de nature à satisfaire l’objectif des auteurs de cibler le dispositif sur les petits projets, et qui s’appliquerait de façon uniforme aux communes et associations.
C. GARANTIR LA SÉCURITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
La commission propose également plusieurs évolutions au dispositif pour assurer sa conformité à la Constitution et en particulier :
– à son article 40 interdisant aux amendements et propositions formulées par les parlementaires d’aggraver une charge publique, en veillant à ce que la rédaction du dispositif ne puisse être interprétée comme contraignant le Gouvernement à ouvrir les crédits nécessaires au financement des subventions proposées par les parlementaires ;
– au principe de séparation des pouvoirs, qui fait obstacle à ce que les assemblées parlementaires puissent décider de l’octroi de subventions à des projets particuliers et ordonnancer elles-mêmes les crédits afférents.
Elle propose en conséquence de modifier l’imputation du dispositif au sein de la LOLF, de sorte à ce que celui-ci constitue un nouveau cas de dérogation, facultatif, au principe de spécialité budgétaire, ayant vocation à relever de la mission « Crédits non répartis ».
Enfin, le respect de la hiérarchie des normes impose la suppression de la référence expresse à la disposition de loi ordinaire relative au contrat d’engagement républicain, au profit d’un renvoi général aux conditions législatives encadrant le bénéfice par les associations de subventions publiques.
Aussi, par son amendement COM-2 de rédaction globale de l’article unique qui est le fruit d’un travail commun du rapporteur avec l’auteur, la commission propose-t-elle d’intégrer ces différentes contraintes juridiques, ainsi que divers ajustements rédactionnels, tout en préservant le contenu politique du texte initial de la proposition de loi organique.