De plus en plus d’agriculteurs reviennent vers le conventionnel. Avez-vous des chiffres ? Comment expliquer ce retour ?
Les causes sont multiples. D’une part les départs en retraite des exploitants qui représente une part importante des explications revenant au conventionnel. En 2022, c’est une hémorragie : 3380 exploitants en AB ont décidé de revenir en conventionnel, c’est un tiers de plus qu’en 2021. Parmi les raisons, la baisse de la consommation qui st à son plus bas niveau depuis plus de 15 ans, presque divisée par 2 pour stagner à 6 % de la consommation. L’inflation fait son ouvrage. L’augmentation des matières premières due à la guerre en Ukraine, mais aussi l’augmentation des énergies. Enfin, la fin des aides au maintien de l’agriculture biologique dans la PAC 2023-2027.
Quels sont les domaines les plus touchés ?
C’est l’élevage, mais par répercussion, les grandes cultures puisque 71 % des surfaces utiles agricoles (SUA) sont destinées à nourrir le bétail. Cette baisse des élevages aura donc forcément un impact sur les cultures.
L’objectif annoncé de 15 % de bio dans l’agriculture en France d’ici à 2030 a-t-il été rempli ? Est-ce une mesure utile et souhaitable pour l’agriculture française ?
L’objectif est fixé à 18 % en 2027. Nous sommes aujourd’hui à 10 % avec un retour massif au conventionnel, même si pour le moment, des retours ne concernent que 6 % des exploitations. Mais comment atteindre cet objectif sans soutenir massivement la filière. Dans mon rapport en 2018, je soulignais déjà l’urgence d’une politique de soutien volontariste. Cinq ans plus tard, c’est un retour en arrière.
Est-ce souhaitable pour l’agriculture ? Oui, dès lors qu’elle l’est pour l’environnement, pour la santé des consommateurs, pour la consommation en elle-même. L’agriculture peut-elle n’être que biologique ? Non. Parce que pour cela il faut que les habitudes de consommation puissent changer. En consommant toujours autant de viande, nous aurons besoin de surfaces pour exploiter les céréales destinés à la nourriture du bétail. Et dans le contexte actuels avec la fin des accords sur l’exportation décidée par Vladimir Poutine ou la décision de l’Inde d’interrompre ses exportations de riz, l’Europe va devoir revoir sa production pour répondre à la demande, et dans cette urgence, l’agriculture conventionnelle peut-y répondre. Sur un plan idéologique, bien sûr que tout le monde aimerait une agriculture bio, et les exploitants en premier. Mais je crois que c’est trop tôt et que le contexte est bien trop incertain.
Au Sri Lanka, la généralisation de l’agriculture bio a provoqué les prémices d’une crise alimentaire évitée de justesse par une hausse de l’importation. Le « tout bio » est-il risqué ?
C’est une décision qui a été prise du jour au lendemain par le Président de la République d’interdire les intrants. Cette décision a provoqué la chute de l’économie du pays et du gouvernement. Nous devons en tirer les leçons. Oui, il faut encourager l’agriculture biologique. Mais ça ne peut pas être qu’une décision politique au risque déstabiliser l’économie et de mettre les populations en péril.
Et encore une fois, le 100 % bio est irréalisable si nous n’adoptons pas de nouveaux modes de consommation. L’exportation, les biocarburants, la méthanisation sont autant de domaines qui empiètent sur la consommation humaine des productions agricoles. Le tout bio est souhaitable pour tous évidemment, et devrait même être la règle, mais la réalité est là. Il y a une crise mondiale, neuf milliards d’individus à nourrir et des modèles de consommations, tout cela ne permet pas d’aller vers le tout bio, même si cela doit rester notre objectif.
Qu’est-ce qui a permis au bio d’être compétitif et attirant pour les producteurs avant de connaître ce déclin ?
La conscience des consommateurs, l’envie de manger mieux, l’engagement pour la planète. Mais face à cela il y a une réalité : économique avec une inflation historique. Environnementale avec des prévisions alarmantes pour l’agriculture, notamment en Espagne. Puis une anxiété mondiale sur le changement climatique qui peut décourager des exploitants de se convertir au bio, sachant que les modifications sont importantes. Mais le plus nuisible, à mon sens, est l’absence de volonté politique de soutenir la filière de l’AB qui se manifeste dans les décisions européennes, même si au niveau national, l’Etat sst présent. Mais aujourd’hui nous parlons de souveraineté alimentaire : peut-on, en même temps, dans un contexte économique incertain, demander aux agriculteurs de se convertir tout en leur demandant d’assurer la souveraineté alimentaire ? Non. Ils sont depuis trop longtemps été abandonnés, parfois humiliés par des décisions prises au nom de la mondialisation. On ne peut pas demander à des femmes et des hommes que l’on a largement oubliés de tout faire en même temps : nourrir le monde et engager des efforts importants pour se convertir en leur expliquant qu’ils devront le faire seuls.
Le label Bio est-il synonyme d’écologique ? Le label HVE est-il un juste « entre-deux » ? Doit-on opposer le conventionnel et le bio ? Le conventionnel est-il forcément mauvais ?
L’agriculture conventionnelle en Europe n’est, par définition, pas biologique mais reste l’une des plus vertueuses et les modes de production ont largement évolué depuis un demi-siècle. Il faut cesser de penser que les agriculteurs sont irresponsables. Ils aiment la terre, leur terre qui les fait vivre et nous fait vivre. Je pense que la majorité des agriculteurs aimeraient ne produire que des produits biologiques. Mais leur réalité est là : la précarité des exploitants que l’on dénonce depuis des années sans qu’elle ne soit prise en compte. Le marché de la distribution. Une loi EGALIM qui s’annonçait comme révolutionnaire mais n’a finalement rien changé au quotidien des exploitants agricoles. Encore une fois, nous avons méprisé et oublié nos exploitants pendant des dizaines d’années, à coup d’injonctions et de politiques financières contradictoires. Nous avons installé l’agriculture dans une incertitude permanente et nous constatons aujourd’hui les dégâts de ces politiques.
Une « injonction » au bio qui mène à l’agri baching ? Ces injonctions étaient-elles déconnectées de la réalité de la demande ?
Tout le monde hurle à l’agriculture qui pollue. Mais les faits sont là. Si demain, tous les consommateurs se mettent à consommer des produits issus de l’AB, il n’y aura plus d’agriculture conventionnelle. C’est un paradoxe du consommateur que l’on a retrouvé aussi pendant la crise COVID avec le consommer local : on ne peut pas dénoncer l’absence de petits commerces en poussant son caddie dans une supermarché pour acheter des tomates en décembre. S’il y a une offre, c’est parce que la demande est là. C’est à nous, individuellement de faire en sorte que cela change.
Quelle réponse politique doit-on apporter à cette crise du bio ? Doit-on subventionner les producteurs en difficulté ? Aider à la reconversion vers le conventionnel ?
Nous devons savoir ce que nous voulons : continuer à consommer des produits moins chers qui viennent du bout du monde ou accepter de payer un peu plus cher pour de meilleurs produits produits en France. Mais encore faut-il en avoir les moyens et les chiffres de la précarité alimentaire n’ont jamais été aussi élevé que depuis 2017. Alors quel choix avons-nous ? Camper sur notre idéologie du tout bio tout en prônant la souveraineté alimentaire est irréalisable. Expliquer aux consommateurs qu’ils vont devoir payer leurs produits plus cher dans le contexte inflationniste actuel est impensable. Alors oui, il faut soutenir la reconversion. Mais il faut aussi soutenir, davantage peut-être, ceux qui souhaitent se maintenir dans l’agriculture biologique. D’une manière générale, l’urgence est avant tout de soutenir la consommation, la souveraineté alimentaire et cela passe par un soutien aux agriculteurs. On ne doit pas perdre de vue les enjeux environnementaux et cette idéologie d’une agriculture plus saine. Mais l’urgence est de permettre aux citoyens de manger, et si possible des produits français, et des produits variés puisque c’est aussi et surtout un enjeu de santé publique. Sur ce point, l’Europe doit impérativement revoir sa politique agricole et protéger l’agriculture ; Si elle en le fait pas, ce sera à la France, seule souveraine d’en déduire des mesures de protection.
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