Sur le rapport de sa présidente Sophie Primas, la commission des affaires économiques a adopté, le 10 mai 2023, la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, des sénateurs Laurent Duplomb, Pierre Louault et Serge Mérillou.
Cette initiative sénatoriale transpartisane, cosignée par 175 sénateurs, déposée à la veille du salon international de l’agriculture en février 2023, est le fruit des recommandations législatives de la mission d’information sur la compétitivité de la ferme France, adopté par la commission des affaires économiques en septembre 2022.
Cette proposition de loi regroupe en un texte unique des mesures de compétitivité qui, jusqu’ici, ont trop souvent été traitées séparément. Les auteurs sont convaincus que parce que la compétitivité n’est jamais discutée en tant que telle, elle a été la grande oubliée des politiques agricoles des vingt dernières années, accumulant charges, normes et interdictions en chaque occasion, oubliant bien souvent la situation vécue par nos agriculteurs.
Ce texte a pour ambition de détendre ces innombrables contraintes, de rendre de la compétitivité et de l’attractivité à toutes les agricultures, tout en encourageant le monde agricole à innover dans ses pratiques et en les accompagnant dans les transitions plutôt qu’en les montrant du doigt.
Le cycle d’auditions mené par la rapporteure a montré à quel point les filières et les organisations professionnelles attendaient de longue date que le dossier de la compétitivité soit enfin ouvert. Elles ont témoigné dans leur très large majorité de leur enthousiasme à l’égard de l’orientation générale souhaitée par les sénateurs.
La commission des affaires économiques a donc largement adopté ce texte, y apportant quelques modifications pour en améliorer l’économie et l’enrichir d’utiles compléments, avec des amendements qui visent à :
- – préserver davantage notre agriculture des distorsions de concurrence au sein de l’Union européenne et avec le reste du monde ;
- – modérer les charges des agriculteurs pour que leur revenu ne soit plus la variable d’ajustement de la compétitivité ;
- – encourager le renouvellement des pratiques et l’adaptation de notre agriculture au changement climatique.Loin d’épuiser cependant tous les sujets, cette proposition de loi permet de prendre date en vue des débats futurs.La commission des affaires économiques par cette proposition de loi fait entendre sa conviction : c’est en s’attaquant de front aux problèmes de compétitivité présents de notre agriculture que l’on préparera au mieux le défi du renouvellement des générations et de l’attractivité des métiers agricoles.Avec une production agricole estimée à 95,8 milliards d’euros en 2022, la France est une grande puissance agricole, mais une puissance en déclin comme en témoignent la réduction
1. LE CONSTAT : LA COMPÉTITIVITÉ DE NOTRE AGRICULTURE, GRANDE OUBLIÉE DES POLITIQUES DES VINGT DERNIÈRES ANNÉES
des surfaces agricoles et du nombre d’agriculteurs, le plafonnement des rendements, l’érosion continue de parts de marchés, notamment au sein de l’Union européenne ou encore la baisse tendancielle du taux d’auto-approvisionnement. (Source : FranceAgriMer)
Les 26 articles de la proposition de loi traitent de sujets variés mais complémentaires regroupés en cinq titres dédiés (voir le détail des articles dans l’exposé des motifs).
Le titre Ier consacre la compétitivité de la ferme France comme un objectif prioritaire.
Le titreII relance la croissance de la productivité de la ferme France en favorisant l’investissement et le produire local.
Le titre III vise à lutter contre la surréglementation en matière agricole, frein à la compétitivité des exploitations et source de désavantages concurrentiels sur les marchés européens et internationaux.
Le titre IV tend à maîtriser les charges sociales des structures agricoles et agroalimentaires, notamment en tenant compte des contraintes propres à leur secteur.
2. LA PROPOSITION DE LOI : UN SOUTIEN À LA COMPÉTITIVITÉ DU MONDE AGRICOL
Une mesure phare : l’institution d’un Haut-Commissaire à la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires françaises, interlocuteur privilégié des filières pour centraliser les difficultés qu’elles rencontrent au quotidien et suivre la planification en ce domaine (article 1er).
Une mesure phare : un livret Agri afin de faciliter le financement des investissements agricoles et de renforcer le lien entre les Français et leur agriculture (article 4).
Une mesure phare : un principe de non-surtransposition des normes européennes, accompagné d’un enrichissement des missions du Conseil d’État le chargeant, dans ses avis sur les projets de textes lslatifs, d’identifier les surtranspositions, pour lesquelles le Gouvernement sera appelé à produire une estimation du surcoût qu’elles pourraient engendrer, |
Une mesure phare : l’exclusion des secteurs agricole et agroalimentaire de l’application du « bonus-malus contrats courts », pour ne pas pénaliser les filières ayant recours aux saisonniers en raison des spécificités de leur activité (article 22). |
Le titre V entend maîtriser les charges fiscales et sociales pesant sur la production pour regagner en compétitivité-prix.
A. PROTÉGER NOTRE AGRICULTURE DES DISTORSIONS DE CONCURRENCE AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE ET AVEC LE RESTE DU MONDE
Près de dix ans après la loi d’avenir agricole, qui avait institué un système unique au monde de concentration de l’évaluation et de la gestion des risques en une seule instance, l’Anses, la commission a souhaité, sur proposition de la rapporteure, permettre à nouveau au politique, en la personne du ministre de l’agriculture, de suspendre une décision technique prise par le directeur général de l’Anses.
Ainsi, à la lumière des récentes décisions de retrait de mise sur le marché ou de modification des conditions d’emploi sur la phosphine et le S-métolachlore, prises sans coordination avec les autres États membres de l’Union européenne, le ministre se verrait attribuer la possibilité de suspendre une décision au cas où il n’existerait pas de solutions alternatives efficientes et où cette décision engendrerait une distorsion de concurrence au sein du marché intérieur (amendement COM-61).
En complément de cette mesure et de l’instauration d’un principe de non-surtransposition (article 12 de la proposition de loi), la commission a souhaité remettre à l’agenda les clauses miroirs, en demandant au Gouvernement la remise d’un rapport sur la mise en œuvre de l’article 44 de la loi EGalim (COM-35). Priorité affichée lors de la présidence française de l’Union européenne, le dossier des clauses miroirs patine. Les clauses miroirs aux frontières du marché intérieur seraient pourtant un moyen de protéger notre agriculture de la concurrence déloyale des produits importés ne respectant pas les exigences auxquelles nous nous astreignons.
La Commission européenne semble résolue à conclure l’accord avec le Mercosur alors que les conditions, notamment sur la présence de clauses miroirs suffisantes, ne sont pourtant pas réunies
Enfin, la commission a précisé les missions du Haut-Commissaire (article 1er) et élargi le champ du plan de compétitivité prévu à l’article 2, afin d’en faire véritablement un « agrégateur » des documents de planification existants, dispersés et peu suivis, pour donner enfin un cap clair et cohérent à nos entreprises agricoles.
B. MODÉRER LES CHARGES DES AGRICULTEURS POUR QUE LEUR REVENU NE SOIT PLUS LA VARIABLE D’AJUSTEMENT DE LA COMPÉTITIVITÉ
La commission a procédé à l’indexation sur l’inflation de plusieurs seuils d’applicabilité de crédits d’impôts, d’abattements et d’exonération, afin de redonner une bouffée d’oxygène à des exploitations agricoles subissant de plein fouet la hausse des charges liées aux intrants, conduisant à l’inflation des prix et donc à une augmentation « faciale » de leur chiffre d’affaires, ainsi que la multiplication des aléas climatiques. La déduction pour épargne de précaution, le micro-bénéfice agricole et l’exonération des plus-values seront ainsi plus adaptés à la réalité de nos exploitations agricoles.
Par un amendement COM-26, la commission des affaires économiques a acté le fait que la cible de 20 % d’approvisionnement issus de l’agriculture biologique et de 50 % d’approvisionnements en produits durables et de qualité, qui devait être atteinte par la restauration collective publique au 1er janvier 2022, ne l’a pas été, repoussant par conséquent cette échéance à 2025. La rapporteure tient pour symptomatique cet échec de
Une mesure phare : l’augmentation des seuils d’exonération de l’impôt sur les revenus agricoles (micro-bénéfice agricole) (article 24).
LA POSITION DE LA COMMISSION : CONSOLIDER UN TEXTE QUI S’ATTAQUE DE FRONT AUX PROBLÈMES DE NOTRE AGRICULTURE
Ce que « la fixation d’un objectif ne saurait tenir lieu à elle seule de politique publique », insistant sur le manque d’accompagnement des collectivités territoriales par l’État pour permettre cette montée en gamme. En revanche, les initiatives mises en place par les collectivités, si elles prennent nécessairement du temps, doivent être encouragées.
Pour concrétiser l’engagement du Gouvernement français d’utiliser toutes les possibilités offertes par la révision de la directive TVA sur les équidés, obtenue de haute lutte après dix ans de pourparlers lors de la présidence française de l’UE, la commission a adopté un amendement COM-1 rect. de Jean Pierre Vogel, qui avait déjà été adopté au Sénat lors du projet de loi de finances pour 2023, assujettissant l’élevage, l’entraînement et la vente d’équidés au taux intermédiaire de 10 % de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Cet amendement permettra à l’élevage français, l’un des plus reconnus au monde, de faire face à la concurrence irlandaise.
C. ENCOURAGER LE RENOUVELLEMENT DES PRATIQUES ET L’ADAPTATION DE NOTRE AGRICULTURE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE
Le changement climatique est déjà une réalité palpable dans les cours de ferme, dans les prairies et dans les champs, les agriculteurs étant en première ligne face à ses effets (sécheresse, gels tardifs…). Ce phénomène deviendra même, à terme, la principale source d’érosion de son potentiel productif.
Dans ce contexte, un amendement COM-30 de la rapporteure, adopté par la commission, permet d’ouvrir trois jours supplémentaires, dédiés à des congés pour formation, lorsque le plafond de 14 jours de remplacement éligibles au crédit d’impôt a été atteint. Si l’excellence de la formation initiale française est reconnue, la formation continue est l’une des principales marges de progrès pour notre agriculture dans un contexte de mutations rapides et face à des défis nouveaux. Cette mesure permet d’enclencher dès aujourd’hui un cercle vertueux en matière de formation : non seulement les exploitants en activité peuvent parfaire leur formation mais, en outre, les jeunes remplaçants peuvent gagner en expérience et faire ainsi un premier pas vers l’installation.
À l’initiative de la rapporteure, la commission a également élargi les possibilités d’utilisation des sommes collectées au titre du livret Agri, en mentionnant le financement des investissements immatériels (COM-46) et le soutien à l’accès au foncier des jeunes agriculteurs (COM-48).
Enfin, la commission a adopté un amendement (COM-73) de la rapporteure visant à consacrer le caractère d’intérêt général des ouvrages de prélèvement et de stockage de l’eau agricole, dès lors que ces derniers s’inscrivent dans une démarche d’usages partagés.
EN SÉANCE Le Sénat a adopté en première lecture la proposition de loi par 210 voix pour et 94 contre le 23 mai 2023. 1. À cette occasion, certains articles adoptés en commission ont été modifiés. À l’article 1 , le Haut-Commissaire à la compétitivité a été renommé en « Haut-Commissaire à la compétitivité durable », sur proposition d’un amendement 27 rect. du groupe socialiste. |
À l’article 9, le diagnostic de performance agronomique des sols et d’émissions de gaz à effet de serre a été assorti d’un plan volontaire d’atténuation et d’adaptation au changement climatique de l’exploitation, sur proposition d’un amendement 91 rect. de M. Longeot et plusieurs de ses collègues. À l’article 21, le Sénat a, de façon consensuelle (amendements 20 rect. bis, 51 rect., 55, 89), étendu l’exonération sociale bénéficiant aux employeurs agricoles de travailleurs saisonniers (TO-DE) aux entreprises de travaux forestiers, pour pallier la pénurie de main-d’œuvre en forêt et rendre atteignable l’objectif d’un milliard d’arbres plantés d’ici à 2030. |
2. Plusieurs articles complémentaires ont aussi été adoptés. Le Sénat a adopté un article 1er A reconnaissant la souveraineté alimentaire comme un intérêt fondamental de la Nation (70 rect. bis et 79), pour rappeler que la compétitivité, objet de cette proposition de loi, est davantage un moyen d’atteindre la souveraineté alimentaire qu’une fin en soi. Il a également adopté un amendement 37 rect. de M. Montaugé et plusieurs de ses collègues demandant au Gouvernement la remise d’un rapport sur les paiements pour services environnementaux dans le domaine de l’agriculture, qui pourrait être confié au Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) selon le ministre au banc (article 8 bis). Enfin, le Sénat a adopté trois articles additionnels renforçant l’information des consommateurs et la coordination pour accroître les approvisionnements en produits alimentaires durables et de qualité : -> par l’adoption d’un amendement 26 rect. ter de Mme Gatel et plusieurs de ses collègues, le Sénat a fixé une date butoir (fin 2023) au Gouvernement pour appliquer l’obligation d’indication de l’origine des viandes aux « dark kitchens », afin de rétablir une égalité de traitement avec la restauration hors foyer (qu’il s’agisse de consommation sur place ou à emporter) (article 10 bis) ; |
-> en votant deux amendements identiques de Mme Loisier et de M. Cabanel (56 et 83), le Sénat a prévu que des contrôles réguliers soient effectués par des laboratoires habilités sur l’origine géographique, florale et l’absence d’adultération du miel (56 et 83) (article 11 bis) – dans un contexte où 50 % des miels au sein de l’Union européenne sont frauduleux. -> en adoptant un amendement 119 de M. Gremillet, il a consacré au niveau législatif le Conseil national de la restauration collective (CNRC), instance de concertation dédiée à l’atteinte des objectifs de 50 % de produits durables de qualité dont 20 % de bio dans la restauration collective publique (article 11 ter). |