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Parmi les dates importantes de sa vie, Marc Meneau n’oubliait jamais celle de son baptême. A l’ombre de la colline éternelle de Vézelay, son restaurant au beau nom de « L’Espérance » affichait la rigueur et la quête d’excellence de ce cuisinier d’exception.
J’ai du mal à parler de Marc au passé, car il était de mon premier cercle, celui de mes amis sur lesquels je pouvais toujours compter. Alors c’est au présent que je veux me souvenir des moments vécus dans la belle maison de Saint-Père créée avec Françoise, son épouse.
Les convives sont saisis, dès le perron franchi, par le goût exquis avec lequel les fleurs, les tableaux, le mobilier et la vaisselle, une harmonie de crème et de vert mousse, sont disposés. Nulle ostentation, nulle épate : on entre dans une belle maison bourgeoise, où les sens, néanmoins, sont titillés par le son feutré des conversations, le ballet bien réglé d’un personnel aux petits soins, par le sourire et la douceur de Françoise. Et ces fumets mystérieux venus de la cuisine…
C’est chez Marc que je découvre comment le savoir sublime le produit. Car ce n’est pas dans les écoles de cuisine, mais dans les grimoires des anciens maîtres-queux des maisons bourgeoises, auprès des chefs Alex Imbert (Maxim’s), André Guillot (L’Auberge du Vieux-Marly) et Jacques Besnard (cuisinier en chef du Palais de l’Élysée) que cet autodidacte, fils du bourrelier et de l’épicière du village a puisé ses connaissances, ses gestes et ses techniques jusqu’à obtenir – mesure-t-on bien cet exploit ? – 3 étoiles Michelin, un titre de Meilleur Cuisinier de l’Année, 19/20 au guide Gault et Millau !
Parfois, je sers de cobaye, consentant et ravi d’avance, à des plats dont certains sont devenus des signatures : huîtres en gelée d’eau de mer, cromesquis de foie gras… Je déguste chez lui des alliances surprenantes et des saveurs puissantes : je me souviens encore de cette grouse cuite dans un nid de tourbe. Marc rend aussi hommage à des produits d’exception en les servant dans le plus simple appareil : l’asperge verte de Pertuis, cuite à la perfection, révèle sa complexité sans ajout d’aucune sorte. Et le potager bio, planté dans le parc de l’Espérance, fournit tout au long de l’année des gourmandises de saison…
Ces dernières années, L’Espérance vendue, Marc Meneau s’était retiré dans sa maison de Vézelay, au pied de la basilique. Passionné d’art et de littérature, il était bien, non loin des mânes de Jules Roy et de Max-Pol Fouchet, des rebelles à fort tempérament, comme lui. A croire d’ailleurs qu’il les attirait : c’est auprès de Marc et Françoise que Serge Gainsbourg a vécu plusieurs semaines juste avant de repartir s’éteindre à Paris. Le piano où il avait joué était resté dans le salon, mais à moins d’être un virtuose, personne n’avait le droit d’y toucher…
Marc disparaît, comme pour refermer avec élégance la porte d’une année désastreuse. La gastronomie, la France et la Bourgogne perdent un de leur plus glorieux ambassadeur. Mon deuil est plus immense : je viens de perdre un ami.
